En 2002, le Groupe de liaison et d’information post-polio devenait une association. Son objectif premier était de répondre aux centaines de personnes porteuses de séquelles de poliomyélite antérieure aiguë, qui ne savaient pas où trouver de l’information sur ce qu’elles ressentaient, découvraient, vivaient avec étonnement, ignorance, crainte, désarroi, angoisse, souffrance, stupéfaction parfois. Les articles médicaux provenaient alors, essentiellement du Canada et des États-Unis et inquiétaient des lecteurs peu ou pas du tout informés. Nous en avons eu des critiques ! Fallait-il pour autant se taire ? Je ne crois pas !
Aujourd’hui, huit ans après, des articles écrits par des spécialistes paraissent en France. Deux congrès ont été organisés à Paris et un troisième se prépare. Oui la polio et toutes les personnes qui en sont atteintes peuvent à nouveau espérer sortir de l’ombre où leur parfaite intégration les a plongés.
Alors telle une armée de revenants, ces patients arrivent avec une reviviscence du sentiment d’abandon dans vos consultations.
Ils ont parfois « galéré » durant deux, quatre, parfois cinq ans, allant d’examens en examens chez leurs médecins généralistes puis chez le spécialiste (rhumatologue, neurologue, médecin de médecine physique et de réadaptation, voire d’autres) sans être compris et pire sans réponse adéquate, dans certains cas.
Dans la très grande majorité, ces personnes ont fondé des familles, ont des responsabilités professionnelles, sont autonomes, indépendantes et ont du caractère ! Et quel caractère ! Ce qui ne rend pas toujours le dialogue facile, je le reconnais.
La personne « polio » se connaît, connaît son corps paralysé, mais ne se reconnaît pas handicapée (seulement 22 % se reconnaissent handicapés) malgré des atteintes sévères mais tellement bien compensées. Parler de la dégradation de nos séquelles et de notre polio comme d’une maladie évolutive est tout aussi difficile car cela ne fait pas partie de notre histoire ni de notre imaginaire collectif. C’est bien là tout le paradoxe de cette maladie à la fois ancienne (oubliée grâce au vaccin mais pas totalement éradiquée) et encore récente (50 ans, pas de recul suffisant et donc pas d’études à long terme). Les poliomyélitiques, qui ont en moyenne une cinquantaine d’année, ne correspondent pas aux clichés de la personne handicapée que nous renvoient les études généralistes.
L’émergence du syndrome post-polio (SPP) a rendu les choses encore plus compliquées !
Tout est bouleversé dans un équilibre chèrement acquis. La souffrance physique et psychologique d’un corps différent a été muselée, censurée. Ce corps nous l’avons habitué à se plier à notre détermination. Enfants, nous avons dit : je veux ! Enfants nous avons été parfois en proie à des crises de colères par impuissance ! Enfants, nous n’avons eu qu’un but : entrer en « normalité » tout au moins pour ceux qui le pouvaient.
Aujourd’hui, qu’attendons-nous ?
Ce qui ressortait, en 2006 au moment où nous faisions une première enquête sur les aspirations profondes des personnes polio, reste globalement vrai en ce début 2010 :
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la reconnaissance des complications tardives de la poliomyélite et du SPP validée par un médecin référent spécialisé. Les personnes polio font état d’un manque de soutien à cet égard, tant en amont de la reconnaissance que par la suite. En effet, il n’existe pas suffisamment de dispositifs de suivi et d’aide spécifiques autour « du SPP » sur l’ensemble du territoire même si la prise de conscience s’est améliorée. Beaucoup de personnes se retrouvent isolées dans de petites communes rurales et nécessiteraient de pouvoir bénéficier d’hospitalisation complète ou tout au moins de semaine or bien des structures ne le permettent pas ;
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hormis les programmes de rééducation adaptée, un traitement efficient des douleurs et de la fatigue, une « reconnaissance sociale » (familiale et professionnelle) de cette fatigabilité (certaines d’entre nous s’épuisent à continuer à travailler à temps plein dans le dédain, l’indifférence et le mépris de leurs collègues, de leurs supérieurs et parfois même des autorités médicales administratives). N’y a-t-il pas là, parfois matière à baisser les bras et à déprimer ?
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une plus grande place à l’écoute, des propositions axées sur des techniques de mieux être (relaxation, massages, sport adapté, balnéo, etc.) et pas uniquement des réponses médicales ;
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une meilleure formation des professionnels de santé et paramédicaux à la prise en compte d’une pathologie qui ne se résume plus qu’à quelques lignes de théorie ;
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des réseaux de soins pluridisciplinaires.
Alors, votre rôle est ardu, car, non seulement il faut avoir une grande capacité d’écoute et d’empathie vis-à-vis de personnes très exigeantes vis-à-vis d’elles-mêmes et donc des autres, mais aussi pour leur faire comprendre que le recours à des aides techniques (perfectibles) et de nouvelles contraintes peuvent s’avérer être un gage d’autonomie durable, de risque atténué et d’une meilleure qualité de vie.
Je vous invite à lire maintenant les textes rédigés par des médecins qui nous connaissent et sans qui nous ne serions encore que des Grincheux, des Profs, des Timides, des Simplets, des Dormeurs confus et fabulateurs. Peut-être même des dépressifs, des hypochondriaques, des « Z’handicapés », voire des extravagants ! Heureusement, les contes se terminent généralement bien.
Oui, ce patient un peu particulier a toujours besoin que quelqu’un lui tende la main pour « avancer ».